L’homme au bout du fil semble embarrassé :
« Non madame, je suis désolé, nous avons coupé l’an dernier les deux pommiers de la variété « Fameuse ». Nous commencions à manquer d’espace, et nous devions agrandir pour nos arbres McIntosh et comme la demande n’était pas très forte pour ces pommes... Et les pommiers se faisaient vieux! Encore désolé! »
J’ai raccroché, stupéfaite. Je venais de perdre une de mes dernières chances de goûter la Fameuse, et surtout de pouvoir me procurer un greffon de la variété qui, jadis, poussait un peu partout à Montréal. Comme pour les légumes de notre jardin, au cours du siècle dernier, c’est une multitude de variétés qui se sont éteintes et qui ne feront plus jamais parties de notre quotidien.
La culture des fruits au Québec…
La culture des fruits dans la belle province remonte à bien longtemps. Les premiers arbres fruitiers qui arrivèrent sur le continent, tels les pêchers, les pruniers, les cerisiers et les pommiers auraient été apportés par bateau pour le bien de l’élite de cette époque, c’est-à-dire le Clergé et la bourgeoisie, puisque la majeure partie de la population ne pouvait se permettre d’importer d’Europe des arbres fruitiers à grand coût.
Il existait bien dans la province des fruits que cueillaient les « sauvages », mais les fruits du vieux continent étaient perçus comme « plus civilisés » que ceux qui poussaient au gré de la nature et sans soins particuliers. (tiré du Réseau des Archives du Québec)
Les premiers colons, qui n’avaient pas beaucoup de biens et de richesses, se sont donc rabattus sur ce que consommaient à l’époque les Premières Nations, soit les fruits sauvages qui abondaient aux abords des forêts, comme les mûres, les viornes trilobées, les amélanchiers, etc. La manne était telle au cours de la saison que certains écrits, qui sont parvenus jusqu’à nous relatent l’abondance de cette cueillette.
Dans la région de Montréal, (...) il suffisait de tendre la main pour qu’elle s’emplisse de ces délices fruitiers.
Le rôle des communautés religieuses
Les premiers vergers de Montréal ont vu le jour dans l’enceinte des communautés missionnaires. Celles-ci ayant à cœur d’évangéliser les « sauvages », elles tentèrent de les sédentariser en leur enseignant l’agriculture et la culture fruitière. En plus de fournir des recettes substantielles avec la vente des surplus, la cueillette des fruits assurait l’autonomie de la communauté tout en servant aussi les desseins de Dieu : enseigner une façon de vivre qui demandait de rester sur place tout au long de l’année et mettre de côté les pérégrinations amérindiennes (sic).
Un des grand domaine de Montréal fut celui des Sulpiciens, appelé le domaine de la Montagne (actuellement une partie de Wesmount au pied du Mont-Royal). Le domaine comprenait notamment des arbres fruitiers, des vignes et un potager, le tout ceinturé d’une palissade de bois. L’abondance de fruits qu’on y trouvait n’avait d’égal que la rigueur, l’ordre et la discipline que prônaient les religieux dans leur jardin.
Quelles variétés trouvait-on à Montréal?
Certaines variétés ont donc eu leur moment de gloire à Montréal, où le climat était un peu plus confortable pour la culture fruitière. La poire Bon-Chrétien, qui est pratiquement disparue aujourd’hui, y est présente à partir du XVIIème siècle. La Beauté Flamande est popularisée à la même époque, mais elle connaîtra une plus grande popularité puisqu’on peut encore la trouver aujourd’hui chez plusieurs pépiniéristes. Les pruniers de Damas ont trouvé leur chemin dans notre culture populaire et ils sont encore d’actualité.
Mais qu’est devenue la pomme Fameuse qu’un des premiers colons, Louis Hébert, planta en 1617, qui sera reprise par la suite par les Sulpiciens (Potager d’Antan) et qui devint si populaire qu’on en exportait autrefois de pleins barils en Angleterre?
Qu'est-il advenu des variétés jadis présentes sur l'île?
Il faut spécifier ici, pour les néophytes, que les arbres fruitiers, en majorité autostériles, doivent être fécondés par une variété autre afin de donner un fruit. La graine à l’intérieur de ce fruit est donc un mélange génétique de deux variétés. Une fois plantée, la semence donnera un arbre dont les caractéristiques des fruits proviendront des deux parents, donnant parfois un résultat mitigé. De plus, le nombre d’années avant de pouvoir goûter au résultat ne permet pas de faire plusieurs tentatives comme c’est le cas avec des légumes annuels. Une vie d’homme, c’est court! C’est pour cette raison que la greffe est si populaire, permettant à la fois de cloner l’arbre parent et d’en garder les caractéristiques, et d’avoir des fruits dans un court laps de temps, puisque la branche greffée est une branche déjà conditionnée et assez mature pour produire des fruits dans les 4 à 5 années à venir.
Pour ce qui est des variétés fruitières d’aujourd’hui, elles ont été développées pour répondre à certains critères de la modernité, et les nombreux hybrides vendus se targuent d’être résistants au climat, ou à telle ou telle maladie, ou même d’être très petits pour satisfaire à un espace urbain restreint. Mais ces arbres sont souvent dépendants de l’agro-industrie, et ils demandent des soins constants, des arrosages, des engrais de synthèse afin de produire un fruit rond, de belle couleur et attrayant. Un verger de pommes modernes abandonné sans soins laissera derrière lui des arbres malades et des pommes tachées de tavelure.
« Mais qui n’a pas souvenir d’un arbre fruitier, à la campagne, au milieu d’une clairière, laissé à lui-même et qui donne encore des pommes juteuses et à l’arôme entêtant, dans lesquelles les enfants croquent allègrement?
La compétition et l'abandon de l'agriculture
Avec l’urbanisation et l’industrialisation galopantes qui s’opèrent à compter des années 1830, les terres agricoles se font plus rares et la bourgeoisie se voit pousser dans ses derniers retranchements, c’est-à-dire dans l’Ouest de l’Île et à l’Île-Bizard. De plus, avec l’arrivée des chemins de fer, les petits vergers ne peuvent plus compétitionner avec les fruits provenant de l’Ontario où les producteurs profitent d’un climat plus favorable à celui du Québec.
Les arbres fruitiers n’ont pas pour autant totalement désertés la métropole, mais des grands domaines, il ne reste que des noms de rues qui nous rappellent l’existence d’une culture de fruits prolifiques à l’époque où les autoroutes n’existaient pas.
Peut-être retrouvera-t-on un jour dans une cour arrière une variété oubliée de tous. Et peut-être que quelqu’un aura l’idée de la sauvegarder et de la reproduire, afin qu’elle puisse encore profiter à nos enfants et à nos petits-enfants.
N'hésitez-pas si vous avez d'autres informations au sujet de la Fameuse ou d'autres variétés oubliées. info@terrepromise.ca
Pour en connaître d'avantage.
Patrimoine religieux http://www.patrimoine-religieux.qc.ca/fr/pdf/balado/Balado-RHSJ.pdf
Agriculture urbaine, (2014). Montréal, une ville fruitière? www.agriculturemontreal.com
MARTIN, P.-L. (2002). Les fruits du Québec. Histoire et traditions des douceurs de la table, éditions Septentrion.
RICHARD, M. Blogue « Le Potager d’Antan ».